Panama Papers, un scandale démocratique ou la dictature de la transparence?
Le lundi 4 avril 2016, un scandale sans précédent éclabousse certaines des personnalités et institutions les plus puissantes du monde. L’affaire Panama Papers révèle leurs pratiques financières opaques. Derrière ce scoop mondial à l’ampleur inédite, un consortium journalistique appelé ICIJ : The International Consortium of Investigative Journalists. 376 journalistes de 110 rédactions du monde entier ont enquêté sur les 11 millions de documents, les sources de ce scandale. Des chiffres qui pèsent et crédibilisent d’emblée l’information.
Démarrage de la crise. La source de ce scandale reste encore très mystérieuse. On est face à un hacktiviste ou un lanceur d’alerte qui a transmis un disque dur de données brutes concernant les montages financiers offshores gérés par la société Mossack Fonseca, basée au Panama. Ce mystère autour de la source, compréhensible aux vues des risques encourus, pose la question de la fiabilité des informations transmises. Le lanceur d’alerte, s’il existe, est donc coupable de vol et passible de sanctions pénales. Bien que son action soit noble sur le plan moral, il s’est rendu coupable d’une intrusion illégale dans un serveur, à moins qu’il n’ait eu les accès car employé de la firme. Mossack Fonseca a d’ailleurs porté plainte pour piratage informatique. Lors de l’affaire Wikileaks, le lanceur d’alerte Edward Snowden, ainsi que le fondateur de Wikileaks Julian Assange, se sont retrouvés au premier plan médiatique lors des révélations publiques concernant les écoutes du gouvernement américain. Lorsque les Anonymous piratent des données sensibles, la revendication est immédiate. Dans le cas présent, ce sont les journaux qui ont déclenché la crise en publiant les révélations en premier. Une démarche à laquelle nous n’étions plus habitués ces dernières années.
Le temps de l’émotion passé, on cherche les documents, ils sont invisibles pour le moment et il faut se fier au travail, des journalistes. Le sérieux des deux journaux Le Monde et Südeutsche Zeitun (membres de l’ICIJ) et la note envoyée par le cabinet Mossack Fonseca à ses clients juste avant la parution du scandale, faisant état d’une fuite attestent l’importance de l’affaire.
Les journaux jouent ici leur rôle de 4ème pouvoir. Pourquoi ne pas avoir prévenu en premier lieu les autorités compétentes ? Les administrations des pays, les FISC locaux ? Par crainte de voir l’affaire étouffée, minimisée. En possession de cette mine d’information, les journaux se sont organisés entre eux, coordonnés au sein de l’ICIJ, une structure conçue pour l’occasion et qui a prouvé son efficacité. Le teasing très soutenu des médias tout au long de la journée de lundi est cependant contradictoire avec la déontologie journalistique comme on peut la concevoir. En revanche l’occasion est belle et l’audience à son plus haut. Cette volonté de vouloir « en faire des tonnes » peut paraitre étonnante. Mais devant l’ampleur de l’affaire et des réactions qu’elle suscite, la pratique passe quasiment inaperçue. La situation difficile que traverse la presse écrite peut aussi expliquer cette volonté de vendre. A l’heure où le journal historique britannique The Indépendant abandonne le tirage papier, Le Monde joue sur ce scoop pour ne pas subir le même sort. Paradoxalement, une affaire n’a sans doute jamais été autant relayée sur internet par le journal français. Cela marque aussi un changement de paradigme lié à internet, et à la diffusion massive de cette information sur les sites des journaux et les réseaux sociaux.
Vulgarisation Le journal a multiplié les infographies et les vidéos courtes sur son site, privilégiant une approche pédagogique car c’est une crise sans image, sans humour, sans victimes physiques et assez compliquée à comprendre pour le grand public. Cependant on est dans un cadre classique : c’est une affaire manichéenne, où les puissants volent les Etats et donc les peuples. Les personnalités impliquées sont connues. De Vladimir Poutine l’homme d’Etat, à Lionel Messi le meilleur joueur de football du monde, en passant par le réalisateur de films Pedro Almodovar ou l’homme d’affaire et patron de presse français Patrick Drahi. Le scandale et la corruption à grande échelle n’avaient encore jamais atteint cette ampleur. Cette crise rappelle celle de Wikileaks, un véritable scandale planétaire qui va à l’encontre les valeurs occidentales traditionnelles.
Secret, transparence et confiance Celui qui possède un secret le fait au détriment de ceux qui l’ignorent. C’est le concept fondateur de ce qui devient la dictature de la transparence. Le débat peut être lancé, est ce qu’une démocratie peut reposer sur une totale transparence, quelle est l’utilité du secret ? SI nous n’étions pas dans cette terrible crise de confiance où moins d’une personne sur 4 (en France, source enquête ScPo 2014) n’a pas confiance en ce que dit le gouvernement, les institutions les médias, peut être aurions-nous moins besoin de transparence ?
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pascal, pensée 94). Cette crise n’est pas Européano-centrée, et les réactions dans le monde sont caractéristiques de prismes culturels et intellectuels différents. Notre Europe judéo-chrétienne juge le mensonge et la recherche de profit quand l’Asie pourrait trouver malin la recherche d’optimisation fiscale. Le silence prolongé de la Chine et le contrôle de la diffusion de l’information ? L’attaque comme système de défense de Moscou, avec l’arme imparable du complot ? L’implication des chefs d’états arabes, quand il n’y a pas de cadre fiscal chez eux ? Ces mises en cause, dénoncées en Europe, le sont-elles dans ces pays ? Gardons à l’esprit également que les régimes dictatoriaux et les cultures très hiérarchiques vont admettre plus traditionnellement toutes les formes d’abus de pouvoir. Dans ces pays l’écho du scandale est bien plus faible. Quel sera l’impact ? Plus que du journalisme d’investigation, le Panama Leaks relève aujourd’hui de l’effet d’annonce, de la recherche du scoop. L’utilisation du teasing dans une telle affaire est destinée à faire monter l’émotion, tout en maintenant la polémique, ingrédient essentiel pour faire augmenter l’audience. Cette démarche génère un amalgame entre ceux qui ont enfreint la loi et les autres. Les pratiques dénoncées dans cette affaire ne sont pas toutes illégales, mais elles enfreignent toutes la morale (la nôtre). L’atteinte à la réputation des personnes citées sera indéniable, et ce même si ensuite on prouve que sur un dossier tout est légal (selon la loi du pays en question), la réputation de la personne citée sera tout de même entachée. On fait fi de la présomption d’innocence, et çà est ce moral ? Avec cette crise, on a franchi un nouveau palier lié au nombre d’acteurs, l’ampleur des chiffres, la globalité des actifs. On peut parler de méta-crise, une crise qui échappe aux grilles de lectures classiques. Le grand public va-t-il penser qu’il s’agit encore d’un nouveau scandale ? Un de plus ? Ce qui est certain c’est que les Panama Papers vont encore amener davantage de confusion, d’incompréhension, et une énième baisse du niveau de confiance qu’ont les citoyens envers leurs gouvernements. Ce scandale touche essentiellement le monde politique, les institutions et le système financier. Peu de marques sont mises en causes, il n’y pas de produits spécifiques engagés, et donc pas de perte de chiffre d’affaire directe. Certaines banques comme la Société Générale sont incriminées. Leurs réputations sont déjà tellement entachées que quoi qu’elles disent, elles ne sont plus crédibles. En témoigne les propos sous serment du PDG de la Société Générale, Frédéric Ouéda, devant la commission d’enquête « évasion des capitaux » le 17 avril 2012 : « La Société générale a fermé ses implantations dans les pays qui figuraient sur cette liste grise, mais aussi dans ceux que désignait la liste des États non coopératifs, c’est-à-dire en pratique, pour nous, à Panama. Toutefois, nous avons été au-delà. » Les dirigeants de la Société Générale ont été convoqués par le ministre des finances Michel Sapin à Bercy le 5 avril, ils ont promis une totale transparence dans cette affaire…
Décryptage des réactions. Certains hommes politiques n’ayant rien à craindre sur le sujet de la fiscalité, à l’image de François Fillon, ont réagi immédiatement. Non cité dans l’affaire, l’ancien premier ministre en a profité pour exprimer son soutien aux journalistes qui ont enquêtés et sa révulsion envers les fraudeurs. Les politiques cherchent toujours l’occasion de faire parler d’eux. La déclaration du président de la République, elle aussi à chaud, a été plus maladroite : « C’est une bonne nouvelle que nous ayons connaissance de ces révélations parce que ça va nous faire encore des rentrées fiscales de la part de ceux qui ont fraudé » a déclaré le Président. Il accrédite sans recul la véracité de ces révélations, tout en oubliant que l’Etat a failli puisqu’il n’a pas repéré ses fraudeurs. Le Président a aussi affiché son soutien aux lanceurs d’alertes qu’il convient de « protéger » , alors que la France a refusé l’asile politique à Julian Assange…Nous ne sommes pas à une contradiction près … La France a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées », la convocation des dirigeants de la Société Générale à Bercy, et la radiation du Panama de la liste des pays coopérants en matière de fraude fiscale. Une batterie de mesures réactives, qui démontrent finalement le manque de crédibilité des gouvernements successifs et de l’administration fiscale française. Certains « accusés » choisissent un bouc émissaire, comme Michel Platini, déjà impliqué dans une affaire de corruption et suspendu de son poste de président de l’UEFA. L’ancien joueur français a déclaré via son communicant que « l’intégralité de ses comptes et avoirs sont connus de l’administration fiscale suisse, pays dont il est résident fiscal depuis 2007 ». Ce n’est pas moi, mais ma banque, mes conseillers… Certains suintent la peur, comme pour le Premier ministre Islandais, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, qui s’est littéralement décomposé en interview face à deux journalistes de l’ICIJ. Il a d’ailleurs été contraint de démissionner le lendemain 5 avril 2016 face à la pression populaire. D’autres sont défensifs et juridiques, comme le cabinet d’avocats Mossack Fonseca, dont provient la fuite Panama Papers. Le cabinet, spécialiste des montages financiers et de l’installation de comptes offshores, a porté plainte pour piratage informatique. Son co-fondateur Ramon Fonseca Mora s’est posé en victime de ce scandale, déclarant qu’« Il y a une guerre entre les pays ouverts, comme le Panama, et les pays qui taxent de plus en plus leurs entreprises et leurs citoyens» et que ces révélations constituent « une attaque contre le Panama car plusieurs pays n’apprécient pas que nous soyons très compétitifs pour attirer les entreprises ». D’autres vont se bunkeriser, comme la Chine, qui non seulement n’a toujours pas fait de déclarations officielles à ce sujet, mais qui censure les médias et ne diffuse pas l’information. Enfin, la Russie est à la fois dans le déni et dans l’accusation, dénonçant un complot américain contre Vladimir Poutine tout en sachant combien il est difficile de démontrer l’inexistence de complot. «Poutine, la Russie, notre pays, notre stabilité, les prochaines élections sont la cible principale. Il s’agit de déstabiliser» le pays, selon Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin. Certains gouvernements sont plus circonspects et demandent à leur fisc de prendre connaissance des datas et d’agir en conséquence, comme au Royaume-Uni et en Australie, dont les autorités compétentes disposent déjà d’une partie des dossiers. La France, curieusement en retard dans l’enquête, a demandé à ces pays ces données par l’intermédiaire de Michel Sapin : « Je précise que mon administration fiscale a déjà adressé des demandes d’entraide en lien avec les révélations de l’enquête, au Royaume-Uni et à l’Australie » Aucun, à ce jour n’a la moindre attitude de repentance..
Que faire en cas de mise en cause ? Il n’y a pas de procédure pour faire face à un scandale de cette ampleur. Il va falloir inventer et s’adapter pour pouvoir faire face à la tempête médiatique. « Partir d’une feuille blanche » pour reprendre l’expression de Patrick Lagadec, en mettant par exemple sur pied une « force de réflexion rapide ». On ne pourra pas répondre tant que les détails et les faits supplémentaires ne seront pas sortis. On se trouve aujourd’hui dans la phase de l’effet d’annonce, du teaser. Alors, Il ne faut pas se cacher, ne surtout pas rester silencieux et faire une déclaration si on vous sollicite : dire que l’enquête et les détails détermineront les responsabilités, exprimer sa confiance envers la justice de son pays. Jouer la carte de la pédagogie. Expliquer que ces recours aux constructions financières sont légales. Le public n’admettra pas que la loi le permette, mais vous n’êtes pas législateur ! Il faut se préparer, ne pas réagir sous le coup de l’émotion et déterminer un objectif de communication dès le début de la crise. Parler tout de suite, la Société Générale l’a fait en expliquant que ses activités avec le Panama n’avaient rien d’illégales. Des accusations non encadrées vont être lancées et vont jeter l’opprobre sur des gens sans qu’ils n’aient la chance d’un procès, ils sont présumés coupables. Ces accusations vont participer à la création d’un climat de suspicion dans un contexte compliqué, de montée du populisme et des nationalismes et de défiance vis-à-vis de l’Etat. Un scandale de cet ampleur représente un véritable danger pour la démocratie libérale elle-même, sous couvert d’une plus grande transparence. Le gouvernement se félicite de ce coup de filet. Paradoxal, dans la mesure où l’attitude du gouvernement laisse penser qu’il n’y a plus personne à la barre du navire, pour donner le cap et faire ce travail de contrôle et d’investigation. A voir : Emmanuelle Hervé invitée des Décodeurs de l’éco du 04/04 sur BFM Business, à propos de l’affaire Panama Papers :
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